Chroniques du Plan d’Aou 5

Discussion du 10 novembre 2018

C’est un samedi maussade, sans pluie mais sans lumière. Nous sommes attablés avec deux mamans devant le cahier qui nous sert à noter ce qui se dit. Avec ce temps, ce plafond bas qui masque le ciel bleu on est comme privé d’énergie. Le moral n’est pas en berne, disons que nous sommes d’une humeur automnale. C’est comme ça au Plan d’Aou nous dit Leila, une des mamans, toujours pareil, routinier.
Mais qu’est-ce qui est routinier ? Nos vies. Nous avons des vies routinières qui se focalisent autours des enfants, voilà tout. C’est un peu comme tout le monde, non ? Peut-être, on ne sait pas comment ça se passe chez les autres, nous, nous voyons notre vie comme ça.
Samia est d’accord. On accompagne les enfants à l’école et puis on va les chercher. On s’occupe de leurs repas et puis on les ramène à l’école. On s’occupe de la maison et on va les chercher. Il ne nous manque qu’un cartable pour nous croire comme eux. Cette école devient le centre de nos journées, on y croise les copines avec qui on souffle cinq minutes avant la sonnerie et l’ouverture de la grille.
Ah tiens, les copines. Vous trouvez le temps de vous rencontrer et de vous consacrer du temps ? Non, répond Samia, on ne se voit qu’à l’école, chacun à la tête dans le guidon, c’est le même rythme pour tout le monde. De toutes façons, ici, je veux dire en France, c’est pas comme au bled. Il faut s’appeler, se donner rendez-vous. Chez nous tu pousses une porte et on t’accueille, inutile de demander si on peut passer et à quel moment.
Voilà pourquoi, reprend Leila, l’école est notre seul point de rendez-vous, et puis on a pas vraiment le temps. Mon mari n’a que le dimanche de libre alors c’est moi qui gère les déplacements pour l’entraînement et les matchs. En fait, je ne souffle que chez moi, en Turquie. Pareil, dit Samia, chez nous le temps s’arrête.